Biographie > Années 1953 à 1957 > 1954





es cachets grossissants de Callas - alors 50 000 francs en moyenne - suivent une courbe inversement proportion-nelle à celle de son poids : 75 kilos lorsqu'elle chante en janvier à la Scala Lucia di Lammermoor, sous la direction musicale et scénique de Herbert von Karajan. Ses contre-mi bémol, qu'elle est capable de tenir plus de dix secondes, font délirer les Milanais...

Si faire de la musique avec Karajan est un délice pour Maria, elle apprécie moins sa mise en scène dépouillée. Elle regrettera d'autant cette production que dans sa carrière et parmi ses grands rôles, la Lucia de la Scala sera la seule production montée spécialement pour elle. Ailleurs, elle n'aura jamais un Visconti ou un Zeffirelli pour travailler le personnage.

Avec le succès, Meneghini a coutume d'offrir un bijou à sa femme à chacune de ses prises de rôle: pour Lucia, ce sera une splendide parure de diamants... Elle retrouve les productions plus conventionnelles de la Fenice pour d'autres Lucia et d'autres Medea ; adieux à Venise, avant de revenir à la Scala. Entre janvier et avril de cette année, elle perd encore 10 kilos. " C'est une autre femme ! " s'exclame le chef Carlo Maria Giulini lorsque débutent les répétitions d'Alceste de Gluck mis en scène par une Margarita Wallmann fascinée " par ses yeux sombres, immenses , ils me hantaient ".

On a parlé de régime miracle. Terre-à-terre, Meneghini prétend qu'après s'être débarrassée d'un ver solitaire probablement contracté par une trop grande consommation de viande crue -Callas adore le steak tartare , sa femme s'est mis à perdre du poids. Le lombric intestinal avait un effet contraire chez Callas!

Carlo Maria Giulini constate: "Le potentiel qui se tenait caché dans les ténèbres émerge alors, et un nouveau monde d'expression s'ouvre pour elle. " Meneghini ne l'appelle plus sa moitié mais son quart! Pour parachever le changement, Callas adopte une nouvelle teinte de cheveux plus douce. La forte chevelure roux foncé devient châtain, qu'elle coiffe en un sage chignon. Désormais, elle passe des heures à se préparer dans sa salle de bains.

Callas va pouvoir enfin compléter l'image qu'elle cherche depuis si longtemps à présenter au public : un tableau parfait. Après le triomphe musical et esthétique d'Alceste, elle réalise de plus un tour de force artistique avec Don Carlos de Verdi, dont les cinq représentations alternent avec les quatre d'Alceste. Son Elisabeth de Valois laisse aux témoins de cette unique apparition dans le rôle l'image d'un Vélasquez vivant.

Callas met en valeur sa présence scénique et favorise l'économie de gestes où ses belles mains sont toujours mises en valeur. En mincissant, elle se découvre un cou fort beau et long. Son port, même lorsqu'elle était forte, avait toujours été noble, maintenant il devient aussi émouvant.
Après ses deux dernières Leonore de la Force du destin au Théâtre Alighieri de Ravenne - qu'elle accepte en vue

Réalisation Graphique - ORB DESIGN - orb@free.fr

de l'enregistrement EMI - , elle chante pour trois soirées la Marguerite du Mefistofèle de Boito aux arènes de Vérone - là encore, en vue d'un enregistrement mais qui ne se matérialisera pas -, Lucia à Bergame avant de faire ses débuts aux États-Unis à Chicago.

La " cité du vent " fait s'envoler les billets de banque. Le cachet de Callas est désormais de 90 000 francs par soirée. Deux Norma, deux Traviata et deux Lucia, 3 opéras sous la direction musicale de Nicola Rescigno, six triomphes indes-criptibles.
Cette année-là Callas enregistre pour EMI, Norma (première version), Paillasse, la Force du destin, l'album d'airs de Puccini sous la direction de Serafin, et enfin le Turc en Italie sous celle de Gavazzeni. Pour sa troisième participation à une soirée d'ouverture, Callas se voit offrir par la Scala le plus beau des présents : Visconti. Depuis les Vêpres siciliennes à la Scala en 1951, Luchino Visconti a pris l'habitude d'adresser à chaque première de Maria un télégramme de félicitations qui immanquablement se termine par: " J'espère vous voir bientôt. Quand travaillerons-nous ensemble ? " Visconti et le couple Meneghini, avec le temps, ont établi des liens d'amitié. On peut les voir attablés pour des dîners dans les restaurants chics de Milan.

Maria admire l'intelligence de Visconti mais, éprise de respectabilité, ne comprend pas son langage souvent obscène, imagé d'expressions triviales et hérissé d'épithètes ignobles. " Lorsque vous vous exprimez de la sorte, cela me retourne l'estomac ! " Visconti se justifie : " Les gens sont insensés. Ils ne comprennent rien si vous n'êtes pas explicite. " Durant les répétitions, le langage de Visconti était encore plus cru, particulièrement envers les femmes. Fin psychologue, Visconti avait deviné que cette aversion de Callas pour son langage pouvait être dangereuse : jamais il ne s'autorisera le moindre écart durant leur collaboration. Aussi curieux que cela puisse paraître, aucun directeur de théâtre lyrique n'avait jusque-là proposé une mise en scène d'opéra à Visconti, si ce n'est un projet avorté avec Toscanini, un Falstaff de Verdi qui aurait pu inaugurer la nouvelle salle de la Piccola Scala !

Callas et Meneghini jouent les messagers entre Ghiringhelli et lui. Le directeur de la Scala parle mollement d'une nouvelle Norma, d'un Bal masqué sous l'improbable direction de Toscanini. On tergiverse beaucoup. Visconti propose la Somnambule de Bellini, en précisant que la Scala sans Callas ne l'intéresse pas. Et la Traviata ? Finalement, c'est la Vestale de Spontini qui ouvrira traditionnellement le 7 décembre la saison, avec Callas dans une mise en scène de Visconti. Dans la Vestale, Visconti invente pour Maria et le jeune ténor Franco Corelli une Norma néoclassique. Chaque geste est emprunté à la peinture, celle de Canova, Ingres et David. Callas tombe amoureuse de Visconti. " C'était stupide, dira plus tard le metteur en scène, c'était dans sa tête. Possessive comme beaucoup de Grecques, elle me faisait des scènes de jalousie et détestait Corelli parce qu'il était bel homme! "

1955 > 1956 > 1957 > épilogue

Home Page
1954
1953 > 1955 > 1956 > 1957