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près lui avoir offert sa première Norma, vision-naire et directeur avisé, Francesco Siciliani sera le premier à pressentir que les autres grands rôles de Callas seront la Traviata de Verdi, Lucia di Lammermoor de Donizetti et Medée de Cherubini : il va les lui offrir les uns après les autres. D'ailleurs, outre Tosca (qu'elle interprète cinquante cinq fois environ), les rôles que Callas chantera le plus fréquemment dans toute sa carrière sont : Norma (quatre-vingt neuf fois), Traviata (soixante-trois fois), Lucia (quarante-six fois), et Medée (trente et une fois). Siciliani a vu juste, seules manquent à la liste des records trente et une Aïda, un rôle auquel, après l'insolence vocale des célèbres représentations de Mexico cette année-là, Callas n'apportera plus d'autre chose.

Un personnage vivant est un objet d'art que l'on contemple comme un tableau sur un mur, pour travailler ses rôles, pour mieux développer ce qui, petit à petit, prend forme dans sa tête. Callas est impatiente d'approfondir sa connaissance de la scène avec un grand metteur en scène. Lorsque Siciliani monte la Traviata pour elle sous la baguette de Tullio Serafin, elle rêve en plus de ce qu'elle pourrait accomplir si elle avait un Visconti pour la mettre en scène. Patience! Mais le mot ne fait plus partie du vocabulaire! Si le soir de la première (le 14 janvier) Traviata est un succès, les difficultés relationnelles qui surgissent entre Serafin et la soprano durant les répétitions sont symptomatiques. La musique ne suffit plus à Callas, Serafin a donné ce qu'il avait à donner, les leçons sont apprises et retenues, mais il faut aller plus loin...

Après un passage à Naples pour chanter Léonore du Trouvère premier opéra que Callas étudie seule, étrenné à Mexico quelques mois auparavant, après deux Norma à Palerme, une Aïida à Reggio de Calabre, deux Traviata à Caligari en Sardaigne, Callas retrouve Florence en mai pour une nouvelle production des Vêpres siciliennes de Verdi et pour la première mondiale de l'Orféo et Euridice de Haydn ; les deux opéras sont placés sous la prestigieuse direction musicale d'Erich Kleiber. Grâce à Siciliani, l'étoile de Callas brille d'autant mieux que les cachets demandés par Meneghini grimpent.

Les premières répétitions des Vêpres sont explosives. Callas, qui manque une matinée de répétition, est fustigée par le rigoureux Kleiber : " A la base, non seulement je compte sur une sensibilité et une sincérité artistique, mais aussi sur une bonne éducation! Maestro,chantez ces Vêpres vous-même! " Callas exige que les colères de Kleiber à son égard soient contrôlées. Siciliani arrange les choses et le triomphe retentissant de la première résonne jusqu'aux oreilles de Ghiringhelli. Télégramme de félicitations, coups de téléphone du directeur de la Scala. Le vent tourne, rendez-vous est pris. Quelques jours plus tard, Ghiringhelli propose à Callas d'ouvrir la saison 1951-1952 de la Scala avec ces mêmes Vêpres. Pour son épouse, Meneghini réclame désormais 300 000 lires par représentation (environ 13 000 francs de 1997, en valeur marchande cela représente plus), un prix que Rudolph Bing, seigneur et maître du Metropolitan Opera de New York, juge exorbitant. Alerté par les rumeurs et la presse, Bing ne saisit pas, en écoutant ces Vêpres, les prémisses de la révolution que Callas opère. Au fonce il reste un fidèle de la tradition du chant de l'entre-deuxguerres -que Zinka Milanov et Renata Tebaldi incarnent suprêmement à ses yeux. Les New-Yorkais attendront Callas jusqu'en novembre 1956!

En juillet, après Florence, Callas rejoint Mexico pour sa seconde tournée triomphale avec un programme entièrement consacré à Verdi : trois Aida et quatre Traviata. A son retour, Callas retrouve Elvira de Hidalgo à Verone. Durant le dîner, Ghiringhelli, présent dans le même restaurant, ignore les deux sopranos ! En septembre, Callas s'envole honorer un contrat de huit représentations au Brésil. Sao Paulo l'entendra en Norma et Traviata, Rio de Janeiro dans les mêmes rôles, plus Tosca.

Les directeurs d'orchestre sont Tullio Serafin et Antonino Votto ; ses partenaires, entre autres, Tito Gobbi, Giuseppe Di Stefano, Mirto Picchi, Boris Christoff et Nicola Rossi-Lemeni. A la tournée prend part une autre diva: Renata Tebaldi, favorite de la Scala.

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Jusque-là le répertoire des deux sopranos est diamétralement opposé. Pourtant, au Brésil, le hasard fait que Tebaldi et Callas alternent à l'affiche Traviata et Tosca, deux des quatre rôles communs qui figurent à leur répertoire (Callas ne va pas tarder à abandonner Aïda et ne tardera pas à renoncer à Leonore de la Force du destin). Si l'on en croit Meneghini, la mèche est enflammée involon- tairement par l'épouse de Serafin, Elena Rakowska. Fan de la première heure, celle-ci admire Maria, et elle est d'autant plus irritée devant l'objectivité de son mari et de ses propos sur les mérites respectifs des divas: "Ce sont des voix dissemblables, capables chacune d'effets qui enchantent le public. " Rakowska prend fait et cause en public, elle soutient que son Serafin de mari devrait, les soirs où Callas interprète Traviata, déclarer au public: "Vous allez entendre la partition telle que Verdi l'a écrite ! ", des propos diligemment rapportés à Tebaldi qui bat froid sa collègue.

Au Théâtre municipal de Sao Paulo, toute la compagnie est réunie pour un concert d'airs d'opéras. Comme la soirée est longue, d'un commun accord les chanteurs ne s'autorisent pas de bis quel que soit leur succès. Tebaldi enfreint la règle, et pour répondre aux acclamations du public enchante deux bis ! Callas est mortifiée. Pire, après une première de Tosca à Rio reçue fraîchement par le public et deux Traviata, alors que l'on croit Tebaldi encore à Sao Paulo pour chanter dans l'Andrea Chenier de Giordano, Maria découvre que Tebaldi est affichée à sa place pour la seconde représentation de l'opéra de Puccini en dépit de son contrat.

Callas explose! Confondant Puccini et Wagner, c'est une Walkyrie qui entre sans frapper dans le bureau du directeur du théâtre et qui saisit l'encrier de bronze. Menaçante elle questionne : " Pour quelle raison me remplacez-vous dans Tosca ? - Je vous ai jugée un tantinet bruyante à la première ! Répétez ce que vous venez de dire si vous en avez les nerfs! Mais je vous préviens, je vais vous fendre le crâne ! Posez cet encrier ou j'appelle la police! "

Fin du dialogue. Callas a, de rage, porté un coup de genou au bas-ventre du directeur et le couvre d'insultes devant les témoins alarmés par le remue-ménage. Bye bye Brésil: à leur retour à leur hôtel, les Meneghini trouvent deux billets d'avion. Le vol du retour quitte Rio deux heures plus tard! Callas a obtenu néanmoins qu'on lui paye deux cachets pour Tosca. Si, en toute objectivité, Renata Tebaldi n'est pour rien dans cet évincement, Callas ne le lui pardonnera pas.

La très médiatique querelle Tebaldi-Callas, celle qui sera largement relatée par la presse, naîtra bientôt, argumentée par la passion et alimentée par la haine de deux clans de fans. De retour en Italie, Callas reprend Traviata à Bergame, Norma et les Puritains à Catane.

" S'il a besoin de vous, c'est la meilleure brosse à reluire de la terre. S'il n'a plus besoin de vous, il vous jette sans pitié. " Callas n'aimait pas plus Ghiringhelli que Ghiringhelli n'aimait Callas. Homme froid, manipulateur de talents aussi bien que des circonstances, le surintendant de la Scala (de 1945 à 1972) avait une qualité : sentir le vent. S'assurer les services de Callas ne procédait en rien d'une reconnaissance artistique mais bien du calcul et du flair médiatique. Le suspense doit satisfaire la raison et les nerfs, et après avoir résisté à Callas plusieurs années, Ghiringhelli ne désirait pas se mettre à dos la foule grandissante de ses admirateurs. Dès l'entrée officielle de Callas à la Scala, elle et Ghiringhelli se livrent une bataille quotidienne que le directeur perd immanquablement et qui coûte au théâtre énormément d'argent. Quelques jours après son vingt-huitième anniversaire, Callas triomphe dans les Vêpres siciliennes à la Scala le 7 décembre sous la direction de Victor de Sabata. Elle est une artiste désormais établie à Milan, et le contrat que Ghiringhelli lui propose stipule qu'avant l'été elle doit chanter dans Norma, l'Enlèvement au sérail et Don Carlos. Avant cela, elle interprète, le 29 décembre à Parme, une unique Traviata, le rôle qu'elle désire par-dessus tout chanter à Milan et qui pourrait remplacer avantageusement Don Carlos.

 

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