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lena Rakowska, l'épouse de Serafin, occupe le même hôtel que Callas, et l'a entendue vocaliser le matin dans sa chambre. En professionnelle, elle est impressionnée d'entendre une Brünhilde grimper l'échelle des coloratures et suggère que Maria pourrait être capable de chanter Elvira : "C'est totalement absurde, réplique Serafin, Maria est occupée par Brünhilde, un personnage exténuant et d'une tessiture complètement différente. Comment pourrait-elle alterner deux rôles diamétralement opposés?" L'idée fait cependant son chemin, Callas est convoquée, demande vingt-quatre heures de réflexion, étudie la partition, accepte. Le 19 janvier, public et critique explosent de bonheur. Une page de l'histoire lytique vient de s'écrire.
Fin janvier, Callas se rend en Sicile pour chanter deux autres Brünhilde au Théâtre Massimo de Palerme sous la direction de Francesco Molinari-Pradelli. Les conditions de travail ne la satisfont pas. Une fois son contrat rempli, elle quitte la Sicile pour Naples. Lors de ses débuts au San Carlo dans Turandot, un critique qualifie son registre aigu de cauchemardesque ! Compte tenu du rôle, c'est un vrai compliment !
Fin février, Callas retrouve la Ville éternelle pour un troisième et dernier rôle wagnérien sous la direction de Serafin : Kundry dans Parsifal. Ces débuts à l'Opéra de Rome sont qualifiés de magnifiques. Après quatre Norma au Théâtre Bellini de Catane, elle part avec Serafin faire ses débuts au Théâtre Colon de Buenos Aires. Vérone, 21 avril : malgré une dernière tentative de la part de la famille de Giovanni Battista Meneghini pour empêcher Maria, de religion orthodoxe, d'obtenir une dispense du Vatican et les documents grecs et américains nécessaires, celle-ci épouse Meneghini à cinq heures de l'après-midi. Le soir même, à minuit, elle embarque à Gênes sur l'Argentina, direction Buenos Aires. Avant d'embarquer, elle envoie à New York un télégramme pour annoncer en italien l'événement à ses parents : "Nous sommes mariés et heureux. " La réponse de sa mère ne se fait pas attendre. Lorsque, deux semaines plus tard Maria - désormais Meneghini-Callas - débarque en Argentine, elle trouve une réponse d'Evangelia. Dans une lettre, celle-ci lui rappelle clairement: " Tu n'appartiens pas à ton mari mais à ton public! " D'ailleurs, le mari est retenu par ses affaires en Italie, et Callas est venue seule à Buenos Aires où elle débute au Colon le 20 mai dans Turandot, un rôle que, d'ailleurs, elle abandonnera là.
Outre quelques représentations de Norma et d'Aida, toujours sous la direction de Serafin, le séjour argentin révèle le tempérament particulier de Callas. L'importante et tendre correspondance qu'elle échange avec son époux est révélatrice d'un tempérament parfois paranoïaque. Lorsqu'il s'agit de juger le monde lyrique, elle se montre plutôt commune.
Dans une lettre à Battista, elle dit: " Serafin m'a fait chanter durant la traversée le rôle de Leonore de la Force du destin dans son intégralité. Il pense que j'y suis merveilleuse. Le maestro dit que mon contrat pour Trieste n'avait pour but que de me mettre en difficulté et de prouver que si Callas est une Isolde, dans Verdi je suis une vraie disgrâce! " La modestie ne fait pas partie de sa panoplie. Elle écrit à Battista : "Avec Turandot, le public n'a pas eu l'occasion d'évaluer mon art. Dans Aida, mes collègues ont eu la chance de ne pas chanter avec moi, mais au côté de cette horrible Delia Rigal! Ils ont remporté un triomphe et depuis ils portent beau, en particulier Del Monaco, qui est très désagréable avec moi. Si j'ai l'opportunité de lui barrer la route lorsque quelque chose d'important se présentera, je le ferai avec plaisir, bien que je ne sois pas du genre à me délecter de ce genre de chose! Si je suis en forme, on verra bien qui, de lui ou de moi, triomphera dans Norma ! Aucun de mes collègues ne m'a rendu visite lorsque j'étais malade. Ils étaient tous heureux que je sois clouée au lit et que je ne puisse pas chanter. Ils savent qu'en scène, je leur fais de l'ombre... "
A son retour d'Argentine, Callas s'installe dans l'appartement que Battista a fait aménager à Vérone sous les toits de l'immeuble où se situent ses bureaux. Callas le décore. Papier à fleurs, rideaux froufroutants, meubles rococo, dorures un peu partout et salle de bain de marbre rose.
Tout en suivant un régime alimentaire, Callas passe des heures dans sa cuisine à préparer des plats pour son mari. C'est une véritable obsession : elle découpe les recettes dans les magazines. Elle passe aussi son temps dans les boutiques, achète toutes sortes d'ustensiles de cuisine qu'elle baptise ses " pièges à souris" !
Si, depuis son arrivée des États-Unis, elle était descendue à 80 kilos, à la suite de l'ablation de l'appendice elle en regagne une bonne dizaine!Septembre : Callas chante à Pérouse son premier et dernier oratorio : San Giovanni Battista d'Alessandro Stradella. Elle avouera que ce type de musique l'ennuie. Après avoir enregistré pour Cetra son premier 78 tours, elle se consacre à son troisième rôle verdien. C'est le célèbre chef d'orchestre Vittorio Gui qui, après l'avoir entendu à Pérouse, engage Callas à Naples pour chanter Abigaille dans Nabucco. " Gui adore travailler avec moi, écrira-t-elle à Battista, mais je ne suis pas enthousiaste à son sujet. Il ne pense qu'à lui ! Par ailleurs Brissoni, le metteur en scène, n'a pas d'idée précise sur l'oeuvre. Dramatiquement, tout repose sur mes propres initiatives. " Nabucco sera un triomphe, mais outre trois représentations en décembre au San Carlo, Callas ne rechantera jamais Abigaille. Entre les représentations, elle se plaint par écrit auprès de son mari, toujours mobilisé par ses affaires à Vérone, de ne pas être encore enceinte!